Pardonner ses voisins ?

L’humilité et le voisinage.

« Je suis M, j’habite dans une petite résidence dans un appartement avec un vis-à-vis. Mes voisins qui ont, comme moi, la vingtaine vivent ensemble et nos balcons sont face à face. A mon arrivée, nous nous adressions des formes de politesse. Quelques mois plus tard, le voisin m’a écrit et nous avons échangé banalement sur le jardinage, la littérature (puisqu’il me voyait lire). Nous nous vouvoyions. Je le précise car cela me parait essentiel de souligner que nous maintenions, dans le respect mutuel, une forme de distance, que ce soit par le langage ou même physiquement. Eux étaient en couple, moi célibataire et nous étions simplement dans le partage. Se sentant mal à l’aise de la situation, il a dit très rapidement à sa copine que l’on se parlait et que nous pourrions tous nous rencontrer. Du jour au lendemain, tout a cessé et le voisin m’a expliqué qu’il préférait qu’on ne se parle plus. J’avoue m’être sentie assez blessée de ça, j’aurai aimé au moins qu’on discute TOUS ensemble, pour mettre au clair le fait qu’il n’y avait absolument aucune ambiguïté. La voisine est venue me parler un matin pour savoir s’il y avait un truc entre nous deux. Je me suis trouvée assez surprise par sa question et en même temps blessée une fois de plus. C’était donc parce que j’étais célibataire, et donc potentiellement un danger, que personne ne souhaitait me parler, même pour des cordialités, que j’étais étiquetée sans même avoir mon mot à dire. Pour la rassurer, je lui ai alors dit que je parlais avec mon ancien petit ami qui s’est trouvé être ensuite celui d’une de ses copines. Une histoire de plus s’est rajoutée à cette relation de voisinage qui se délitait déjà et nous ne disions plus bonjour sans que j’en sache la raison. Deux réflexions se sont immiscées dans mon esprit :

Est-il possible encore en 2020 de partager, de discuter sans que nous soyons étiquetée par l’autre par rapport à notre démarche ? Peut-on discuter avec l’autre (quel que soit son genre) sans que l’on nous accuse d’avoir des arrières pensés ? Ne pouvons-nous pas tout simplement aimer l’humain, le partage, la discussion, l’échange, les valeurs… ?

La situation a duré environ 1 an, et ça a été le confinement. Cet état de vie m’a fait beaucoup réfléchir puisque je les voyais toute la journée et j’ai commencé à chercher une solution en me disant que ce serait une bonne chose de leur tendre une perche en étant dans l’émotionnel car c’était bien le fond du problème et ce, des deux côtés. Pour ma part, je me sentais blessée, assez incomprise et presque même rejetée sans cause réellement tangible. De l’autre côté, je pense qu’il y avait à la fois de la frustration, de la déception et de la peur. La situation était bloquée.

Alors, dans un élan, je me suis dit que j’allais leur écrire une lettre, mettre une certaine fierté (même si chez moi, elle ne prédomine pas) de côté et surtout prendre le risque d’un échec. Mais j’ai tenté. J’ai donc écrit cette lettre en leur dévoilant mes émotions, mon incompréhension. A la fin de celle-ci, je leur ai proposé une invitation afin qu’ils puissent, cette fois-ci, juger par eux même et se faire une vraie idée fiable, non voilée ni influencée par les autres.

J’ai joint des petites graines de plants d’herbes aromatiques car je vois qu’ils jardinent beaucoup. C’est une petite attention-réconciliation.

J’ai glissé la lettre dans la boite et je me suis sentie soulagée d’avoir juste essayé, quelle qu’en soit l’issue.

Un soir plus tard, on a sonné à ma porte et c’était eux, mes voisins. J’ai vu dans chacun de leur regard les remerciements mais aussi les efforts que cela demande de faire un pas et de revenir sur ses propres agissements. De mon côté, et j’en ai été presque surprise, cela m’a émue parce que je me suis dit : « c’est ça l’humain, il est capable de ça ». Nous avons pu discuter et j’ai maintenu mon invitation pour une prochaine. Ils m’ont porté une part de gâteau. C’était peut-être anodin mais ça en dit long sur la réciprocité d’un engagement.

En refermant la porte de chez moi, j’étais emplie d’émotions positives, je me sentais fière de l’avoir fait, d’avoir risqué quelque chose et qui a, en plus, fonctionné. Je me sentais également euphorique et portée par la joie.

Dès le lendemain, j’ai vu l’influence positive que cette expérience avait eu sur eux. Les fenêtres étaient ouvertes, ils semblaient plus libres.

De cette expérience, je retire la leçon suivante : dire son ressenti, décoller une étiquette que l’on nous scratche sur le front peut avoir des conséquences positives. C’est un risque à prendre, un chemin vers plus d’humanité. C’était également un exercice d’humilité. Chacun devait faire l’aveu en quelques sortes de ces failles et ce n’est pas toujours évident. J’ai trouvé ça enrichissant.»

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